A Domfront on met des poires dans le calvados

La ferme des Martellières, exploitation de 220 hectares à Sept Forges dans l'Orne en Normandie est située dans la petite zone d'appellation Poiré Domfront. 30 hectares de prairies naturelles du domaine sont utilisés par de vergers de poiriers et de pommiers, dont la production de cidre, poiré, calvados, Pommeau et Poirissimo peut être dégustée et achetée directement à la cave du domaine.
 

Au cœur du parc régional Normandie Maine, la petite route de campagne que j'emprunte sillonne le bocage de l'Orne, où les champs vallonés sont cerclés de talus, de haies et d'arbustes, et où les vaches impriment leurs tâches marrons et blanches sur le vert de l'herbe. Le pays d'Andaine héberge aussi la seule station thermale du nord ouest, Bagnoles de l'Orne, située à seulement quelques kilomètres de Sept Forges et de la Ferme des Martellières.

« Un poirier, ça met 100 ans à pousser, 100 ans à produire, et 100 ans à mourir ! » m'apprend Thierry Boisgontier, cidriculteur et poiréculteur, tout en cueillant une poire de cloche dans son verger. Avec plus de 300 variétés de poires et deux labels - l’appellation d’origine protégée « Poiré Domfront » et l’appellation d’origine contrôlée « Calvados Domfrontais » - l'Orne peut se vanter d'être le plus grand et le plus diversifié des vergers de poiriers d’Europe.
La poire coule dans les veines de la famille Boisgontier depuis plusieurs générations : sa grand mère ramassait déjà les poires, à la main, et son grand père allait de ferme en ferme avec son alambic distiller le calvados. Parce qu'ici dans le Domfrontais, il n'y a pas que des pommes dans le calva, il y a aussi 30% de poires, c'est même une des caractéristiques de l'AOP.
C'est en 1989 que Thierry reprend le domaine d'alors 60 hectares au total. « J'ai toujours voulu préserver le Poiré Domfront qui a été inscrit récemment au patrimoine culturel immatériel de la France ». Les poiriers sont en effet souvent coupés pour faire de la culture céréalière, dont le rendement est plus rapide. Thierry plante alors des poiriers, beaucoup de poiriers, jusqu'à en avoir 1000. Il possède même un verger conservatoire, où sont regroupés toutes les variétés.

25 000 bouteilles par jour

« Le ramassage des poires commence en septembre et se termine en décembre» explique le poiréculteur Bienvenue à la ferme. Une récolteuse mécanique ramasse uniquement les fruits tombés, qui vont ensuite au pressoir. Il y a ensuite deux possibilités : pour le calvados, on laisse le jus entièrement fermenter dans la cuve pendant deux à trois mois, avant de le distiller - le fait de faire passer le jus dans l'alambic pour le séparer de l'alcool - au printemps et de le stocker en fût pour le laisser vieillir. C'est un peu plus compliqué pour le poiré et le cidre, puisqu'il faut maitriser la fermentation, en utilisant un filtre à terre, et en faisant de la décantation afin de laisser reposer le dépôt. Après une fermentation de plusieurs semaines, le poiré est mis en bouteille. « Un camion embouteilleur vient à la ferme : il fait jusqu'à 25 000 bouteilles par jour ! » préciseThierry.
Toute la production : jus de pommes et de poires, Poiré, Cidre, Calvados, Pommeau, Poirissimo, est ensuite vendue au magasin de la ferme, que Thierry a mis en place dès son installation.

Dégustation et démonstration à la Ferme des Martellières

Le magasin est une grande bâtisse typiquement normande, avec notamment une cave pour la dégustation, où trône un vieil alambic. « J'ai créé cet atelier pour me démarquer. On est les seuls sur la commune à faire ça. En plus, on est ouvert tout le temps. » Les clients sont accueillis par Valérie Bouvier, voisine et ancienne de la grande distribution, qui officie ici depuis plus de dix ans, en plus de s'occuper de la communication et de la publicité de l'exploitation. « Aller chercher les clients, c'est mon truc : partir avec ma pochette sous le bras et aller faire découvrir les produits du patrimoine, j'aime ça ! » raconte avec enthousiasme cette brune aux cheveux courts. En plus de la vente directe, la production part en GMS (Grandes et Moyennes Surfaces), boutiques, épiceries fines sur la côte normande. « Nous fournissons même un boutique à Toulouse et dans l'Ain ! »

« Mais ce qui compte le plus, c'est de sauvegarder ces arbres. Pour les générations futures » conclue Thierry avant de retourner au pressoir surveiller le pilage des poires.

Un reportage de Constance Decorde