Nuit blanche dans le Pouilly Fumé

Le domaine de Maltaverne, un vignoble de 18 hectares, est situé à Tracy-sur-Loire dans la Nièvre, en plein cœur de l'appellation Pouilly Fumé. Gilles, Matthieu et Nolwenn y produisent du vin issu de ce cépage emblématique : le sauvignon blanc.
 

Je roule sur l'A77, ancienne nationale 7 qui traversait la France du Nord au Sud avec ses flots ininterrompus de touristes héliotropes. J'arrive à Tracy-sur-Loire dans la Nièvre, région viticole du Centre-Val de Loire, et l'une de ses deux Appellations d'Origine Controlée : le Pouilly Fumé. A gauche au bout du village, plusieurs corps de ferme éclairés par le soleil rasant de ce début de novembre... Bienvenue au domaine de Maltaverne.

« J'ai appris à faire du vélo sur cette autoroute !» me raconte Matthieu Maudry, en me montrant au bout du terrain ce qui est aujourd'hui l'A77, mais qui n'était à la fin des années 90 qu'une simple nationale. C'est aussi ici, dans la mare, qu'il a appris à pêcher, avec son grand-père qui a planté les premières vignes en 1978. C'est donc tout naturellement que c'est ici, au domaine de Maltaverne, et après des études d'ingénieurerie du risque à Paris, que Matthieu a voulu revenir et s'installer à la suite de son père Gilles. Il passe pour cela un BTS de viticulture et d'œnologie à Beaune en 2015. Quand il rencontre Nolwenn au salon des vignerons indépendants en 2016, cette dernière travaille encore dans le service communication d'une grande maison d'édition. Mais le souhait de changer de vie et de fonder sa propre entreprise titillait déjà la jeune femme. La passion communicative de Matthieu a fait le reste. Elle apprend le métier sur le tas, crée son poste, à savoir la partie commerciale, le management de l'équipe (8 salariés en tout) mais aussi la communication autour de ce département de la Nièvre qui est désormais son foyer. C'est Gilles Maudry qui, lors de sa reprise du domaine en 1984, commence à développer le vignoble, à mettre en bouteille la production et à augmenter l'aspect commercial.

3e génération et changement de cap : place au label HVE

En arrivant en 2015, son fils puis son fils seul, puis avec sa compagne, ont selon ses propres dires « un peu tout chamboulé ». Ils souhaitent désormais cultiver la vigne à leur façon, c'est-à-dire dans le respect de la biodiversité des parcelles mais aussi de l'ensemble de l'environnement. « C'est une philosophie éthique que nous voulons appliquer au projet dans sa totalité :
du choix des véhicules utilisés aux techniques de traitements, de la communication sur nos produits à la manière de traiter les salariés » m'explique Nolwenn. C'est pour cela que le couple ne se retrouve pas totalement dans le label bio, qui est selon eux un cahier des charges intéressant mais pas assez englobant. « Le label HVE, Haute Valeur Environnementale, nous convient plus » continue-t-elle. « J'aimerais aussi que Maltaverne soit un lieu de partage, de convivialité et de transmission. » A l'instar de ce qu'a fait Gilles, le père de son compagnon, dans les années 90 : il avait recherché dans l'annuaire tous les patronymes Maltaverne, nombreux en France, et les avaient tous invités à venir sur le domaine. Sous un chapiteau, ils avaient installé des grandes tables, sortis les bouteilles et les spécialités locales. Cinq années de suite, de grands banquets se sont tenus. « Récemment, un convive qui y avait assisté enfant est revenu nous voir. On lui a montré des photos, il s'est reconnu ! C'est cet esprit là que j'aime » conclut Nolwenn, qui n'a décidément rien à envier à la passion de son mari.
Ce dernier m'emmène faire un tour du vignoble. Et me montre notamment les parcelles de vignes sélectionnées en 2016 sur lesquelles les désherbants ont été totalement abandonnés. En 2019, ils ont réitéré l'expérience sur 25%  de surface supplémentaire, et l'année prochaine, ils vont arrêter les désherbants sur les 13 hectares restant. « La différence se voit à l'oeil nu: sur celle-ci, il y a plus de vie végétale, de l'herbe, des vers. Sur celle là, il n'y a que de la terre » m'indique Matthieu. « Pour limiter l'utilisation des pesticides, on a aussi installé des nichoirs à chauve-souris, qui est un prédateur naturel des vers de grappes, ces papillons qui ravagent les raisins
» continue Matthieu. Ainsi qu'une autre méthode naturelle de protection des vignes : les hormones de confusion sexuelle, qui détournent la fonction des phéromones et gênent ainsi la reproduction des papillons.
Nous remontons dans la camionnette pour nous diriger vers une autre segment viticole, situé de l'autre côté de l'autoroute, tandis qu' à mes pieds, Nova, leur labrador, mange du raisin en catimini. Philippe, un des ouvriers agricoles, est en train de planter les poteaux utilisés pour
le palissage, qui a pour objectif de soutenir la vigne tout en assurant l’aération des raisins et une exposition idéale. Alors que le soleil couchant illumine les feuilles d'un orangé mordant, nous rentrons au domaine.

La lune et la nuit pour faire une belle cuvée spéciale

Jocelyne, 71 ans, employée ici depuis qu'elle a 15 ans, s'occupe de l'étiqueteuse automatique qui effectue une d
épose précise sur chaque bouteille : « Domaine de Maltaverne, Pouilly Fumé », le nom de la cuvée et le millésime. Puis, enfin, la cave, et la dégustation de leur cuvée prestige, la Nuit Blanche ! Ce vin nocturne un peu spécial a été créée par Matthieu en 2015, et son premier millésime a vu le jour en 2016. « Pour cultiver son potager, mon père a toujours utilisé un guide édité par Rustica, Jardinez avec la lune et je me moquais un peu de lui. Puis on a appliqué ces recettes de grand-père, à chaque étape de la fabrication, de la taille de la vigne à la mise en bouteille, en y ajoutant en plus la dimension nocturne » m'explique-t-il. Le calendrier lunaire est en effet l’outil indispensable du travail de la vigne en Biodynamie : tout doit tenir compte des rythmes cosmiques et de la position de la lune par rapport aux différentes planètes. Les vendanges des 17 rangs de vigne dédiés sont donc réalisées uniquement de nuit, et lorsque la lune est sortie. Le vin aussi n'est manipulé que la nuit. « Le soutirage est réalisé les jours fleurs et en lune montante » précise, ésotérique, Matthieu. « Quand on a commencé à à commercialiser le Nuit Blanche, et qu'on expliquait tout le processus, les clients ont été intrigués. Puis, ils ont aimé le goût ! Ça nous a encouragé à continuer » rajoute Nolwenn, qui nous a rejoint. C'est que le couple est aussi fervent adepte du contact direct avec les consommateurs. Que ce soit par le réseau Bienvenue à la Ferme, auquel ils ont adhéré en 2018, parce que cela correspondait à leurs valeurs d'accueil à la ferme et que cela met en lien tous les producteurs pour une meilleure synergie. Ou pendant les salons, ces générateurs de rencontres, où ils peuvent communiquer leur passion du terroir. « Il y a les habitués, ceux qui n'y connaissent rien et ceux qui y viennent juste pour boire des coups. Mais quand ils reviennent l'année d’après, c'est vraiment une récompense » sourie Nolwenn.
Le jour laisse peu à peu place à la nuit. Matthieu et Nolwenn continuent de partager leur amour du vin, de ce terroir et des gens, pendant que le vin Nuit Blanche, sec et pourtant fruité, aux arômes de pierre à fusil, me laisse ses saveurs florales et minérales sur le palais.

Un reportage de Constance Decorde